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Un nouveau mécanisme de réversion d’une stérilité mâle chez les hybrides de colza

Ces résultats originaux ouvrent la voie au développement de gènes restaurateurs synthétiques pour des stérilités mâles cytoplasmiques pour lesquels aucun restaurateur efficace n'a encore été identifié.

La production de semences hybrides chez de nombreuses espèces de grande culture, comme le colza, est fortement facilitée par l’utilisation des stérilités mâles cytoplasmiques (SMC). Ces systèmes génétiques naturels rendent en effet les plantes mâles stériles, qui ne peuvent alors se reproduire que par inter-croisement. Les SMC sont aussi beaucoup utilisées par les semenciers pour diminuer les coût de production des semences hybrides. Pour les espèces de grande culture chez lesquels on récolte les grains (colza, riz, maïs …), il est toutefois utile toutefois que les plantes hybrides, une fois produites, retrouvent une fertilité mâle normale afin de pouvoir s’autoféconder. On parle alors d’hybrides restaurés. La réversion des SMC, dont les déterminants génétiques sont mitochondriaux, est rendue possible par la présence chez les hybrides de gènes nucléaires dits restaurateurs de la fertilité (Rf). Les gènes Rf codent des protéines adressées aux mitochondries et interfèrent le plus souvent avec l’expression des gènes mitochondriaux inducteurs de stérilité.

Ces dernières années, plusieurs gènes Rf ont été identifiés chez diverses espèces de plantes cultivées, et la plupart d'entre eux codent des protéines appartenant à la grande famille des protéines à répétitions pentatricopeptides (PPR) 1,2. Les protéines PPR sont des protéines de liaison à l'ARN hautement spécifiques qui se sont fortement diversifiées chez les eucaryotes, principalement chez les plantes terrestres. Il a été démontré que les protéines PPR jouent des rôles variés dans l’expression des ARN mitochondriaux et chloroplastiques, allant de la transcription à la traduction. L'activité suppressive des protéines PPR-Rf modifie le plus souvent le niveau des ARNm issus des gènes de SMC.

La SMC OGU-INRA a beaucoup été utilisée pour la production de semences hybrides de colza à travers le monde. Les déterminants génétiques de cette SMC sont connus depuis longtemps mais la façon dont le gène restaurateur (nommé PPR-B ou Rfo) parvient à éteindre le gène mitochondrial inducteur de stérilité (orf138) était encore incompris.

L'équipe d'Hakim Mireau "Organites et reproduction" OrgaRepro a montré dès 2008 que la protéine restauratrice de la SMC OGU-INRA faisait exception parmi les gènes Rf car elle n'affecte pas l’ARNm de stérilité orf138 au niveau de sa taille ou de son abondance 3. La protéine PPR-B s'associe en effet à l'ARNm orf138 in vivo et cette association conduit à une forte diminution du niveau de la protéine Orf138, notamment dans les cellules tapétales et les grains de pollen en développement 3. La protéine PPR-B était suspectée impacter la traduction de l'ARNm orf138, mais cette hypothèse devait être validée et la manière dont PPR-B pouvait interférer avec la traduction du transcrit orf138 déterminée.

L’équipe OrgaRepro vient de publier une étude dans la revue PNAS dans laquelle elle montre que cette inactivation fonctionnelle passe par une inhibition spécifique de la traduction du gène mitochondrial de la SMC OGU-INRA.
En revanche, ce contrôle n'opère pas au niveau de l'étape d'initiation de la traduction, qui est généralement utilisée pour réguler la traduction notamment chez les bactéries. La localisation du site de liaison de PPR-B dans la séquence codante de l’orf138 et la densité des ribosomes à peine modifiée en amont de ce site de liaison lorsque PPR-B est présent soutiennent fortement que ce contrôle traductionnel se produit en entravant l'élongation de la traduction le long de l'ARNm orf138. Ainsi, PPR-B semble agir en bloquant la translocation du ribosome pendant l'élongation de la traduction le long du transcrit orf138. La protéine PPR-B est la première protéine restauratrice de fertilité montrée comme agissant de cette manière.

Perspectives
Le mode d'action moléculaire de la protéine PPR-B démontre que les gènes de CMS peuvent être inactivés en ciblant une protéine PPR dans leur séquence codante pour inhiber leur traduction, sans se soucier de la présence de séquences ou d'éléments structurels favorables au clivage de l'ARN. De manière étonnante, cette inhibition traductionnelle implique un blocage de la progression des ribosomes le long de l’ARN messager issu du gène de la SMC. C’est la première fois qu’un tel mécanisme est révélé. Ces observations devraient ainsi faciliter la production de restaurateurs de fertilité synthétiques pour les systèmes de CMS pour lesquelles des restaurateurs de la fertilité naturels efficaces n’ont pu être identifiés. 


Références bibliographiques 
1Lurin, C., Andrés, C., Aubourg, S., et al. (2004) Genome-wide analysis of Arabidopsis pentatricopeptide repeat proteins reveals their essential role in organelle biogenesis. Plant Cell, 16, 2089–2103.
2 Gaborieau, L., Brown, G.G. and Mireau, H. (2016) The Propensity of Pentatricopeptide Repeat Genes to Evolve into Restorers of Cytoplasmic Male Sterility. Front Plant Sci, 7, 271.
3 Uyttewaal, M., Arnal, N., Quadrado, M., et al. (2008) Characterization of Raphanus sativus Pentatricopeptide Repeat Proteins Encoded by the Fertility Restorer Locus for Ogura Cytoplasmic Male Sterility. Plant Cell, 20, 3331–3345.

 



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Un nouveau mécanisme de réversion d’une stérilité mâle chez les hybrides de colza
Légende : Schéma illustrant le mode d'action moléculaire du restaurateur de la fertilité PPR-B qui, après transfert dans les mitochondries, inhibe spécifiquement l'élongation de la traduction le long de l'ARNm mitochondrial orf138.

Fait marquant scientifique IJPB
Équipe "Organites et reproduction" OrgaRepro

Publication associée
Wang C., Lezhneva L., Arnal N., Quadrado M., Mireau H. (2021). The radish Ogura fertility restorer impedes translation elongation along its cognate CMS-causing mRNa. PNAS . doi:10.1073/pnas.2105274118

Actualité INRAE
La réversion des SMC, dont les déterminants génétiques sont mitochondriaux, est rendue possible par la présence chez les hybrides de gènes nucléaires dits restaurateurs de la fertilité (Rf), article